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Partout dans le monde, les périodes électorales sont marquées par une augmentation exponentielle des campagnes de désinformation sur Internet. En Belgique, les mineur·es de 16 et 17 ans ont pu en 2024 voter pour les élections européennes. Dans ce contexte et en amont des élections, Bibliothèques Sans Frontières Belgique a mené une campagne de sensibilisation à la désinformation et mésinformation auprès des adolescent·es belges ; une campagne qui se continue en 2025 désormais sous la formation d’une activité : T’en penses quoi.
L’initiative initiale visait à tester une approche in situ du prebunking par le biais d’une campagne déployée dans les écoles. Le prebunking est un mécanisme semblable à un vaccin qui vise à réduire l’efficacité des informations trompeuses en avertissant des techniques ou des sujets de manipulation.
L’objectif de la campagne était d’améliorer les capacités de réflexion critique des jeunes face à des contenus de manipulation en ligne. Cette campagne nous a permis d’identifier les meilleures pratiques pour le déploiement d’initiatives de prebunking hors ligne et à grande échelle. Le déploiement de ce projet s’est fait en partenariat avec 3 écoles secondaires en Belgique, entre avril et juin 2024.
Si les informations utilisées pour manipuler et influencer les individus en ligne peuvent varier considérablement, les techniques utilisées pour induire en erreur se répètent souvent d’un sujet à l’autre et au fil du temps.
L’approche pédagogique de la campagne est basée sur la théorie de l’inoculation. Tel un vaccin, il s’agit de délivrer une microdose de techniques pouvant être utilisées pour influencer. Des messages de clarification permettent ensuite de renforcer les défenses mentales contre la désinformation.
Pour optimiser l’impact de la campagne et la possibilité pour les adolescent·es d’appliquer les compétences acquises, nous avons décidé de ne pas aborder un sujet spécifique, mais les stratégies utilisées pour produire des informations trompeuses. Nous nous sommes donc concentrés sur 3 techniques actuellement répandues en Europe :
〉 Langage émotionnel, l’utilisation d’un langage émotionnel fort pour déclencher des réactions, y compris la peur ou l’indignation. Par exemple : « Vous serez choqué par ce que vous verrez… »
〉 L’usurpation d’identité et la fausse expertise, qui consiste à diffuser des informations en se faisant passer pour un·e expert·e ou une autre personne/organisation afin de paraître plus fiable ou crédible et de répandre des mensonges. Par exemple, une personne qui fait des affirmations sur un sujet et met en avant son doctorat, alors qu’ elle n’a pas étudié cette discipline.
〉 Décontextualisation : présentation intentionnelle d’un texte, d’un document audio ou visuel dans un contexte différent ou en supprimant des informations importantes afin d’en modifier le sens. Par exemple, utiliser, sans le dire, une photo dans un contexte différent de celui du texte ou de la situation à laquelle elle est associée.
Grâce à notre expertise dans le développement de ressources et d’activités, intra et extra-scolaires, nous avons imaginé un concept de campagne combinant :
〉 Un support papier avec les affiches et les exemples étudiés lors des ateliers et un support numérique avec le quiz ;
〉 Une expérience d’apprentissage autonome avec les affiches et une participation active lors des ateliers ou du vote par QR code ;
〉 Un travail de recherche individuel sur les téléphones des adolescent·es et des activités d’apprentissage en groupe.
L’un des enjeux fut d’aborder la désinformation en ligne dans un format hors ligne. Dans ce projet pilote, nous avons exploré différentes formes d’approche (affiches, quiz, ateliers, etc.) qui ne nécessitent pas nécessairement l’utilisation d’un appareil électronique. À plus long terme, l’un des atouts de cette démarche est son évolutivité. Compte tenu du faible coût et de l’aspect pratique du format affiche, un déploiement plus large (mené par BSF ou de manière autonome par les écoles) pourrait être envisagé.
Nous avons placé 8 affiches dans les parties communes de chaque école. Ces affiches mettaient en évidence des contenus de réseaux sociaux, dont la plupart étaient trompeurs. Les élèves étaient invité·es à voter à l’aide de la phrase « Qu’en pensez-vous ? » combinée à des QR codes – un pour « vrai », un pour « faux ».
Nous avons organisé un atelier interactif en classe avec des élèves de 16 ans dans les 3 écoles partenaires. L’atelier, d’une durée de 1h40, a permis d’explorer les 3 techniques de manipulation mises en avant dans la campagne. Ce fut également l’occasion d’explorer et de discuter plus en détail d’autres exemples.
À la fin de chaque atelier, les élèves ont répondu individuellement à un quiz composé de 8 nouveaux exemples où les répondants devaient :
〉 Évaluer la fiabilité de chaque information ;
〉 Identifier les indicateurs permettant de déterminer si l’information est fiable ou non.
Nous avons apporté un retour sur les contenus initiaux des affiches, en collant des patchs correctifs sur chacune d’entre elles. Chaque patch comprenait une indication sur la véracité de l’information, ainsi que des conseils et astuces pour repérer les contenus manipulateurs en ligne.
Nous estimons que 1 750 adolescent·es ont été exposés à la campagne, ce qui signifie qu’ils ont vu les affiches et les patchs correctifs. En ce qui concerne notre cœur de cible, nous avons atteint 223 élèves au cours des 14 ateliers organisés dans les 3 écoles.
Grâce aux résultats des quiz nous observons une moyenne de 6 réponses correctes sur 8. Une analyse plus détaillée des résultats montre une amélioration de 2 points de pourcentage après participation à l’atelier.
Les élèves qui ont participé à l’atelier ont donc montré de meilleures aptitudes à identifier les indicateurs dignes d’attention pour chaque exemple. Toutefois, une caractéristique surprenante des données indique que la sélection des indicateurs pertinents ne conduit pas nécessairement à une appréciation correcte de l’information.
En d’autres termes, nos résultats nous permettent de dire que les adolescent·es qui ont été « vaccinés » contre certaines techniques de manipulation sont mieux à même de repérer les indicateurs… même s’ils ne parviennent pas toujours à les interpréter correctement.
〉 Dans l’ensemble, le remplissage du quiz s’est déroulé sans difficulté et avec rapidité : le quiz de fin d’atelier s’est avéré être un moyen efficace pour collecter des données, tout en étant ludique pour les participants.
〉 La participation du groupe tout au long de l’atelier a eu un impact significatif sur les résultats du quiz. Les classes les plus dynamiques ont donné de meilleures réponses que les classes plus calmes. Elles ont également été plus lentes à compléter le quiz.
〉 Le taux de participation au vote par QR code via les affiches a été faible, ce qui nous conduit à réfléchir à différents leviers pour stimuler l’engagement : reformulation, identité visuelle, format de l’affiche, CTA, dispositifs supplémentaires (hors affiches)…
〉 Les équipes scolaires ont eu un accueil très positif au projet.
Ce projet pilote nous permet de tirer des enseignements liés à la fois au format de la campagne et à sa méthode d’évaluation. Ils témoignent de l’importance cruciale d’une approche de test et d’apprentissage pour les initiatives MIL. Ces conclusions remettent également en question l’apparente simplicité du prebunking, parfois présenté comme une solution « unique ».
Fort de cette expérience, nous pouvons formuler un certain nombre de recommandations pour les futures activations de prebunking in situ, à la fois en termes de contenu et de format, mais aussi d’évaluation :
〉 Maintenir une grande précision dans la définition de la cible principale de la campagne, ce qui permet de créer des messages sur mesure (pour les affiches, l’atelier ou le quiz) et des supports appropriés ;
〉 Recueillir à nouveau les données des participant·es à l’atelier après une certaine période pour étudier l’efficacité à long terme de l’inoculation ;
〉 Offrir des « doses de rappel », pour ancrer l’apprentissage et maximiser l’impact ;
〉Encourager un plus grand engagement de la part du personnel des écoles(les enseignant·es en particulier), afin de positionner notre action dans un processus à plus long terme de lutte contre la désinformation chez les adolescent·es, ainsi que de susciter la motivation avant notre visite.
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